1993, c’est l’année où je me suis mis aux jeux-vidéo, soit à seulement 4 ans, l’âge où mes mains étaient enfin suffisamment grandes pour tenir une manette de Colecovision ! Certes il y avait une Megadrive à la maison, mais il faut croire que ma passion pour le rétrogaming débuta très tôt. Pour ceux qui ne connaissent pas, c’est une console qui essayait de concurrencer l’Atari 2600, avec des jeux comme Donkey Kong, Frenzy ou encore Pitfall. Mais c’est également cette année qu’est sorti en Europe un jeu qui marquera à jamais les esprits : Streets of Rage 2.
Bien entendu, Streets of Rage n’est pas le seul beat’em up auquel j’ai pu jouer, mais c’est celui avec lequel j’ai grandi, et sur lequel il m’arrive encore d’y passer du temps. Sega avait l’audace de proposer des jeux matures, où on pouvait se défouler sans compter chez soi. Il n’aura donc pas fallu longtemps avant que ma curiosité l’emporte et me motive à apprendre à créer des jeux-vidéo. C’est avec le logiciel nommé “The Games Factory” que j’ai pris mes marques : pas besoin de savoir coder, le système “d’événements“ permettait de prototyper n’importe quelle idée en moins d’une heure, il suffisait de créer des algorithmes derrière pour leur donner vie. Mon 1er essai de beat’em up fut une adaptation de Mortal Kombat, tout à fait adapté à ce genre, mais pourtant jamais aperçu (si on oublie celui sur PS1, le Joueur du Grenier a très bien listé tous ses défauts !). Mais l’inconvénient quand on fait des jeux tout seul, c’est qu’il est difficile de tout faire soi-même. Dans mon cas, réaliser des graphismes était un vrai calvaire, malgré tous les efforts employés pour apprendre les bases. C’est là que la magie des réseaux sociaux intervient !
La rencontre avec les 2 autres membres de l’équipe, Fréd et Alex, s’est faite sur Facebook, dans un groupe semi-pro consacré aux projets francophones dans le domaine vidéo-ludique. Le nom “Streets of Rage” dans l’annonce avait suffit à éveiller ma curiosité. C’était la 2ème fois qu’ils postaient une annonce pour trouver un programmeur afin de les aider à mettre sur pieds leur idée, le problème principal étant de trouver quelqu’un capable de s’investir à temps plein dessus. À ce moment là, j’étais en stage de fin d’études, et je cherchais justement un projet sur lequel me faire la main avant de me lancer pleinement dans le milieu. Je sortais de l’école Isart Digital, qui s’effectue en alternance. Grâce à leur équipe, j’ai pu dégoter un contrat de professionnalisation, permettant à la fois de financer la formation, mais également d’engranger de l’expérience dans le milieu pro en tant que salarié. Il était donc tout à fait logique de me servir de ces 2 années de formation et de salaire pour tenter une nouvelle expérience avant de me caser.
Quand on sait à quel point l’Etat aime ponctionner les petites entreprises, on n’hésite pas une seule seconde à “profiter” de la moindre aide possible. C’est là que Pôle Emploi intervient. Avec presque 2 ans de chômage en stock, c’était l’occasion ou jamais de se mettre à temps plein sur un projet perso, en vue de gonfler son CV avant de s’insérer dans le milieu. Certes il fallait se serrer la ceinture et mettre en pause d’autres projets pour un temps, mais quand on est dans ce milieu c’est un mode de vie auquel il faut se préparer. En revanche, rien n’empêche de faire des petits boulots ponctuels de temps en temps pour arrondir ses fins de mois. De nombreux studios se doivent de faire ce qu’on appelle “l’effort alimentaire” afin d’avoir de quoi financer le jeu en cours de production, à savoir être prestataire pour d’autres sociétés, que ce soit dans le jeu-vidéo mais aussi dans le web en général. Me concernant, j’ai pu donner quelques cours de web dans une école multimédia. Sortir la tête du guidon de temps en temps est un bon moyen de reprendre son souffle quand on s’acharne des mois sur un même projet !
J’ai commencé à me pencher sur un premier prototype en Novembre 2013 sur le logiciel Unity 3D. La version 4.3 venait d’être mise en ligne, avec la sortie d’un outil permettant enfin de réaliser des jeux purement 2D. Le choix ne fut pas difficile, même si les logiciels de création de jeux ne manquaient pas, mais Unity était en vogue à l’époque, et d’autres logiciels comme Construct ou Game Maker, ou même l’Unreal Engine, sur lesquels j’avais déjà pu m’essayer, posaient soit trop de contraintes par rapport à leurs limitations, soit n’étaient pas adaptés pour de la réalisation purement 2D. De plus, j’avais eu l’avantage d’étudier Unity pendant mes études, je savais qu’il serait suffisamment performant pour m’aider à réaliser ce dont j’avais envie. L’inconvénient principal était que, la partie 2D étant toute nouvelle, beaucoup de bugs étaient encore présents, et beaucoup de choses qui paraissaient évidentes n’étaient pas encore incluses. J’ai dû m’occuper de développer beaucoup d’outils temporaires moi-même, le temps qu’Unity s’occupe de les intégrer nativement, me faisant souvent perdre du temps. Heureusement que la communauté est très active, beaucoup de solutions ont pu être trouvées sur leur forum.
Après plusieurs mois de développement et un premier prototype jouable, nous avons été contacté par l’organisateur des “Retrogaming Days”, une bonne connaissance de Fréd, afin de présenter notre concept pour leur salon à Evreux. Il s’agit d’une petite association de passionnés qui propose aux jeunes comme aux anciens de (re)mettre la main sur les jeux d'antan, dans l’idée de montrer leur évolution et de faire perdurer l’histoire du jeu-vidéo. De notre côté, il était temps de faire tester notre création au grand public et d’avoir un avis général sur notre jeu. Nous commencions enfin à être satisfait de ce que nous nous efforcions de faire et refaire pour que le feeling du combat soit le plus accrocheur possible. Mais ce n’est pas parce qu’il nous plaît qu’il plaira également à tout le monde. Il est très important de garder en tête que le jeu s’adresse au final à un autre public que juste nous, faire tester continuellement son projet à des personnes extérieures est donc primordial pour éviter de foncer droit dans le mur. Mais même si notre envie de base était simplement de s’éclater à le faire, sans aucune intention de faire du business avec, c’est à partir de là que tout a commencé à s'enchaîner.
La présentation du jeu fut un énorme succès, et nous prenions le temps de discuter sur les rares critiques négatives afin de comprendre ce qui n’allait pas et se décider sur les améliorations à effectuer. La satisfaction la plus importante était de voir que les jeunes, aussi bien que les anciens connaisseurs de beat’em up, s’éclataient à y jouer, même quand ils ne connaissaient pas la personne à côté d’eux. Le fun était immédiat, et les comparaisons à Streets of Rage et Hotline Miami citées par les joueurs donnaient un sentiment d’accomplissement plus que jouissif. Quelques jours plus tard, Alex décida avec l’aide d’un de ses amis de créer une petite vidéo avec l’un de ses potes afin de montrer plus clairement à ses proches sur quoi il était en train de bosser. Grâce à un partage massif sur les réseaux sociaux, avec l’aide d’une autre connaissance de Fréd bossant dans le milieu, le trailer finit après quelques jours par arriver jusqu’aux yeux de Dennis Wedin, artiste et designer sur Hotline Miami, qui s’est empressé de retweeter notre vidéo qu’il a bien aimée puis montrée à Devolver, dont ce dernier a également montré son intérêt quant à notre projet.
Quelques jours et 200k vues plus tard, notre vidéo tournait sur la plupart des gros sites dédiées au jeu-vidéo. Ce qui devait être un simple projet perso venait de se transformer en potentiel “hit”. L’idée d’un Kickstarter venait d’évoluer en rêve d’être édité par Devolver, l’éditeur le plus hypé du moment, spécialisé dans les jeux indépendants, dont le succès Hotline Miami avait marqué tous les esprits. Et il n’aura pas fallu très longtemps avant qu’ils ne viennent dans nos “locaux” pour voir le prototype de leurs propres yeux. Il s’agissait de notre 1er vrai moment de stress, l’occasion d’avoir une équipe de choc pour nous épauler et mener à bien ce projet qui nous tenait désormais à coeur. La rencontre fut brève, et le manque d’expression de leur part nous laissait perplexe. Mais nous étions déterminés à leur vendre notre idée, personne ne sait ce que nous serions devenus s’ils nous avaient descendus à ce moment. Il aura fallu attendre le mot de la fin pour être soulagé et savoir qu’ils étaient parés à travailler avec nous. Devolver a un très gros avantage par rapport à d’autres éditeurs : ils n’interfèrent en rien sur la création du jeu. Libre à nous de faire le jeu tel qu’on le souhaite, ils ne sont là que pour s’occuper du marketing. Ceci fut très clair dès la signature du contrat, ce qui nous convenait parfaitement. C’est là que commence le retour à la réalité.
Tout d’abord, pour recevoir l’argent de l’éditeur, il a fallu créer une entreprise et trouver ce qui va avec : comptable, compte bancaire, avocat, … Heureusement, nous sommes tombés sur une société capable de gérer la majeure partie de l’administratif, qui plus est spécialisée dans les nouvelles technologies. Le choix du statut fut évident pour nous : la SARL, permettant d’être à trois gérants égaux. Une fois tout ceci signé, nous avons pu commencer à percevoir notre avance sur recette de la part de Devolver. Mis à part les charges mensuelles, il nous fallait également payer Slo, notre compositeur, pour chaque musique qu’il créait au compte-goutte à chaque niveau que nous terminions, et bien entendu nous verser de quoi vivre tous les mois, Pôle Emploi ne pouvant subvenir à nos besoins indéfiniment. À ce niveau là, il ne faut pas s’attendre à toucher un salaire de cadre; toute avance prélevée est à rembourser, avec les intérêts bien entendu, donc le moins on se verse, le moins on a à rembourser à la fin. Mais cela ne doit pas vous empêcher de faire quelques folies, après tout, quand on a un éditeur cool, il serait idiot de ne pas en profiter !
15 Juin 2015, c’est la date de notre 1er gros événement, celui qu’il ne faut pas rater quand on est friand de bonnes surprises : l’E3. Certes ce salon annuel perd en popularité au fil du temps, mais il reste phare grâce aux nombreuses annonces que les éditeurs réservent pour ce moment là. Et c’est justement pour officialiser notre partenariat avec Devolver que nous avions été conviés à présenter notre jeu sur leur stand. Nous sommes donc partis à 4, direction Los Angeles, afin de rencontrer physiquement les membres de Devolver, ainsi que les autres équipes dont leur jeu était au même stade que le nôtre. Leur quartier général était basé dans une villa qu’ils ont l’habitude de louer chaque année, en dehors du centre-ville. L’accueil fut chaleureux, et malgré la barrière de la langue et le jet-lag, nous étions complètement euphoriques de se retrouver au milieu de tout ce beau monde, à partager une bonne bière les pieds dans l’eau de la piscine. Il faut dire que les membres de Devolver savent mettre à l’aise leurs développeurs, d’un point de vue social ils se comportent bien plus comme des potes que des associés, et avec le stress montant c’était plus que bienvenu.
Le moment qui, je pense, nous restera à tous en mémoire, c’est la conférence Sony à laquelle nous avons pu aller, pour assister à l’annonce officielle de la sortie future de notre jeu. Cela se passa la veille de l’ouverture du salon, où nous avions passé la journée à installer les stands et effectuer les derniers réglages techniques. La salle était immense, et les 3 écrans géants assuraient une vision totale des présentations. Après quelques annonces, et la fin de l’ovation concernant celle du remake de Final Fantasy VII, le logo Devolver fit son apparition sur les écrans. Pendant 1 minute, 4 jeux ont défilé et se sont entrecroisés, pour donner un dynamisme ininterrompu à la vidéo. On a pu donc apercevoir 15 secondes de gameplay de Mother Russia Bleeds, où la baston et les coups sanglants se sont enchaînés dans une violence assez soutenue, avec une lumière rouge qui ne pouvait pas passer inaperçu dans un salon rempli habituellement de bleu. Même si la plupart des gens ont dû se demander ce qu’ils venaient de voir, le public a applaudi, et la tension pouvait enfin être évacuée. Et même si tout s’est enchaîné et que l’annonce de Shenmue 3 a pris le dessus quelques secondes plus tard, on est resté bouche bée d’avoir eu notre place au milieu de tous ces géants.
Le lendemain, nous étions toujours sur notre petit nuage. La vidéo d’une réaction d’un fan nous avait mis du baume au coeur. Mais nous n’avions pas le temps de regarder toutes les réactions dispersées sur le web. De retour à l’E3, nous sommes allés rejoindre le stand de bon matin, pour s’assurer du bon fonctionnement des builds. Le ballon Devolver flottait sur le parking, il était difficile de ne pas l’apercevoir, pile en face de l’entrée du hall principal. Et pour avoir été une petite heure dans cet enfer, j’étais vraiment content d’être à l’écart de cette masse. Ici, chaque équipe avait son propre van, pour que les personnes venant jouer se sentent le plus à l’aise possible. Le van climatisé et le frigo personnel étaient la bienvenue avec les 40° qui frappaient à l’extérieur. C’était donc dans le luxe que nous avons passé ces 3 jours de présentations à la chaîne. Pendant 30 minutes, plusieurs journalistes prenaient place dans notre van, et jouaient ensemble tout en posant leurs questions. Heureusement que nous étions 4, nous avons effectué des roulement pour éviter de terminer la journée à genoux. La grande majorité des retours était vraiment positive, de quoi nous motiver pour relancer la production à plein régime, une fois la grande soirée Devolver à l’américaine passée, et le temps de récupérer de cette semaine intensive une fois rentrés en France.
2 mois plus tard, rebelote avec la Gamescom à Cologne. Cette fois-ci, nous avions notre stand au beau milieu des autres, et les présentations devaient se faire dans le même espace que celles des autres jeux, même si on avait l’honneur d’être celui qui ouvrait le bal. Mais l’intérêt ici était de faire tester notre projet à tous les journalistes qui n’avaient pas pu se déplacer jusqu’aux Etats-Unis. Les équipes étaient les mêmes, et notre build n’avait pas beaucoup bougé, nous l’avions seulement peaufinée un maximum suite aux différents retours et bugs aperçus pendant les présentations à l’E3. Même si nous avions plusieurs niveaux à montrer, l’idée était de prioriser le plus marquant pour que les joueurs cernent bien nos intentions. Du coup, pas d’euphorie cette fois-ci, le cadre était pleinement professionnel, ce qui rendait les journées bien plus fatiguantes, surtout avec le bruit ambiant permanent. Mais l’avantage de la Gamescom, c’est que beaucoup de développeurs indés viennent tenter leur chance. On croise du beau monde, et on prend plaisir à essayer leurs jeux et leur donner conseil, un bon moyen de faire une petite pause avant de se repencher sur son propre jeu.
Pendant les mois qui suivirent, nous étions complètement penchés sur la production. Même s’il fallait prévoir du temps supplémentaire pour s’occuper des réseaux sociaux depuis ces 2 gros salons, le développement suivait son cours. Mais plus le temps passait, plus on remarquait qu’on prenait de plus en plus de retard sur le planning préalablement établi avec Devolver. Le jeu devait sortir initialement autour d’Avril 2016, mais le mode principal n’étant même pas encore terminé, il était trop présomptueux de réussir à finir dans les temps. Cela ne posa pas de problème à Devolver, qui s’est du coup concentré sur la sortie d’Enter the Gungeon décalée à cette date là, nous donnant quelques mois supplémentaires. De notre côté, nous sommes retournés aux Retrogaming Days à Evreux afin de faire tester massivement une dernière fois le jeu, pour confirmer que tout était en ordre, que ce soit par des nouveaux joueurs que des anciens qui avaient pu venir le tester l’année d’avant. C’était le dernier moment possible pour modifier des données sensibles, car il fallait songer à terminer ce que nous avions en cours pour commencer à se pencher sur la sortie du jeu.
Avec une nouvelle estimation de sortie prévue pour Août 2016 et donc 4 mois supplémentaires pour terminer le jeu, nous étions encore trop court pour intégrer tout ce que nous voulions rajouter avant la sortie. Le mode principal, le Sound Design et la liaison à Steam ne furent terminés qu’en Juin, après un rush acharné. Avec toute la fatigue cumulée, et le portage PS4 encore à réaliser, cela semblait irréalisable de pouvoir rajouter tout ce qu’il manquait. Le mode versus fut rajouté en vitesse, mais une fois arrivé au mois d’Août, il valait mieux arrêter les frais et peaufiner ce qu’il y avait de fait, pour éviter d’inclure trop de contenu non fini. Devolver nous conseilla dans ce sens, les mises à jour gratuites deviennent monnaie courante maintenant, mieux valait ne pas reporter la sortie du jeu une 3ème fois, fixée désormais au 5 Septembre. Cela laissa 1 mois pour organiser des sessions de test avec une équipe spécialisée dont Devolver fait appel pour chacun de ses projets. Le dernier crunch time était donc concentrée sur le debug, au rééquilibrage et à la finalisation de certains sprites encore en placeholder. En parallèle, Devolver installa un coin “Mother Russia Bleeds” sur leur salon à la Gamescom, afin de relancer l’intérêt sur notre jeu juste avant sa sortie, et de distribuer des clés previews aux journalistes pour que ces derniers aient le temps de préparer leurs articles pour le jour J.
Ce jour J fut le 5 Septembre, nous étions conviés par l’équipe marketing de Devolver UK afin de fêter le lancement du jeu, dans un bar décoré pour l’occasion. À ce moment là, concernant le jeu, nous n’avions qu’un seul mode secondaire terminé sur les 4 annoncés. Mais Devolver restait confiant, et tentait de nous rassurer quant à la suite des événements. Et c’est là que tout commença à dégringoler. Tout d’abord, quelques minutes après la sortie, je fus contacté par le responsable Steam chez Devolver pour me dire que les bonus de l’édition deluxe n’avaient pas été rajoutés, et qu’il fallait donc que je récupère et mette en ligne tout ça le plus rapidement possible. J’ai dû acheter l’OST et télécharger le making-of de plus de 3 Go pour rajouter tout ça sur Steam avant la fin de la soirée. Heureusement que j’avais emmené mon PC “au cas où” et que le bar possédait la fibre, sinon cela aurait dû attendre 2 jours supplémentaires, le retour n’étant pas prévu dans l’immédiat. Ensuite, les premières critiques de journalistes qui tombaient nous avaient ramené à la réalité, à savoir qu’ils donnent l’impression d’avoir torché le jeu en vitesse, sans avoir pris le temps de réfléchir à tous ses aspects (et non désolé je ne citerai personne). Certes cela se limite à quelques uns, mais après toutes ces années à le voir, de le vivre personnellement est beaucoup plus difficile à encaisser. Heureusement, d’un point de vue des joueurs, la grande majorité était très satisfaite de ce qu’elle avait entre les mains.
Après la sortie du jeu, les critiques sont devenues un poids avec lequel il devenait difficile de continuer. Bien entendu, nous nous attendions à en voir de toutes les couleurs, et on sait que quand celles qui fâchent sont plus que minoritaires, cela ne sert à rien d’en tenir compte, mais on a toujours un sentiment d’amertume de se faire cracher dessus quand on a donné tout ce qu’on avait pour réaliser un projet qui puisse plaire au plus grand nombre. Et ce n’étaient pas les chiffres de ventes qui allaient nous remonter le moral, avec un départ bien en dessous des estimations posées avec Devolver. Sans compter nos revenus diminués pour nous permettre de vivre sans trop en demander, avec le budget pour les musiques, les sons, les tests, le portage et tout le marketing, la note finale fut bien salée. Je me suis donc occupé de faire les mises-à-jour nécessaires pour corriger les nouveaux bugs relevés par les joueurs que la team de test n’avait pas vus, pour calmer les ardeurs de certains. Mais très vite, il fallait s’occuper de la version PS4, et les allers-retours ne me facilitaient pas la tâche avec les 2 versions à gérer parallèlement, pour une sortie console devant se faire avant la fin de l’année. On essayait donc de passer outre en relevant les critiques qui nous faisait sourire.
1 mois et demi plus tard sortait la 1.0.4p1, avec les derniers bugs majeurs corrigés, même si une seule personne pouvait être affectée. L’idée était d’avoir la version la plus clean possible pour la PS4, un bug bloquant étant beaucoup plus frustrant sur console, et les mises-à-jour étant nettement plus difficiles à réaliser du côté de Sony. C’est cette version qui est encore présente à l’heure actuelle sur Steam. La fatigue de ces 3 années et la déception des ventes ont supprimé le restant de motivation qu’il nous restait. Mes prototypes des 3 modes manquants n’ayant pas convaincu mes collègues, le jeu en restera en son état actuel. Concernant le mode online, malgré tous mes efforts pour essayer de l’intégrer, les lags présents gâchaient complètement le plaisir du jeu qui se veut nerveux avant tout. Et malgré l’aide d’un spécialiste en la matière, intégrer un système online sur un projet aussi gros aurait nécessité plusieurs semaines voire mois supplémentaires afin de le rendre pleinement compatible, du fait qu’initialement le projet n’avait pas pour objectif d’être jouable à distance.
Début Décembre, le jeu débarque enfin sur PS4, Devolver voulant profiter de la PSX pour que sa sortie ne passe pas trop inaperçu. Mais la joie de franchir cette étape est à des lieues d’être au niveau de celle de l’annonce lors de l’E3 2015. La déception fut trop forte pour continuer de s’extasier d’avoir réussi à marquer son empreinte dans ce monde vidéoludique, aussi petite soit elle. Malgré déjà 1 daily deal sur Steam et les soldes d’Automne, le jeu se vend vraiment peu. L’avancement financière de Devolver n’est toujours pas remboursé, mais les soldes de fin d’année, les ventes PS4 et surtout Humble Bundle devraient nous permettre de finir la tête hors de l’eau. L’idée d’un autre jeu ou d’une éventuelle suite fut donc malheureusement balayée bien malgré nous. Le studio va rester ouvert une année encore pour recevoir le peu de royalties que nous arriverons à récupérer via les différents deals.
Malgré le ton peu jovial de ce post-mortem, je garde un très bon souvenir de cette expérience, et si elle était à refaire, je n’hésiterai pas un instant, de même que je la recommanderai à tous ceux qui ont l’opportunité de la vivre. D’avoir pu créer un projet à mon idée, voyager, rencontrer une belle brochette de joyeux lurons et partager mon expérience autour de moi, m’ont fait me sentir faire partie pleinement de cet univers. Certes le côté financier fait office de couperet pouvant faire très mal, mais si vous pouvez assurer vos arrières, il vaut mieux en profiter avant qu’il ne soit trop tard !
Mais il est l’heure de tourner la page et de repartir sur des bases plus saines, à savoir pour ma part intégrer un studio qui me permettrait d'étendre mes compétences dans le domaine vidéo-ludique. La passion est toujours présente, et j’espère vraiment pouvoir continuer à en vivre, même si mes idées n’auraient plus autant d’impact sur le produit final. J’espère également à terme pouvoir la partager à d’autres et leur donner le courage de se lancer, même si le marché commence sérieusement à être saturé de projets, il n’y a que ceux qui ont tenté leur chance qui ont réussi à se faire un nom !